Comment résoudre les conflits dans l'Église? (7) - La réconciliation publique
Comment résoudre les conflits dans l'Église? (7) - La réconciliation publique
La notion de réconciliation est centrale dans la proclamation de l’Évangile : réconciliation avec Dieu et avec notre prochain, à cause du sang de la croix du Christ. Ce sang, il l’a versé une fois pour toutes à Golgotha pour laver et couvrir totalement devant son Père les péchés commis par ceux que Dieu a destinés de toute éternité à être réconciliés avec lui. Cette réconciliation doit donc naturellement trouver son expression dans la vie de l’Église, qui est le corps vivant du Christ, fait de tous les membres qui ont part à sa vie par la foi, par l’enracinement que le Saint-Esprit opère en eux en leur accordant une vie nouvelle.
Dans plusieurs articles précédents, nous avons vu ensemble que la vie commune en Christ, au sein de l’Église, son corps, va de pair avec l’exercice d’une discipline particulière. Sans cette discipline, il ne peut y avoir d’harmonie au sein du corps du Christ, qui ne peut marcher, aller de l’avant de manière bien coordonnée et porter des fruits qui glorifient le Seigneur. Cette discipline n’est pas imposée arbitrairement, elle n’est pas une contrainte rigide mise en place par de prétendues autorités ecclésiastiques qui chercheraient à embrigader les fidèles pour les faire marcher au pas de l’oie, les dominer spirituellement et finalement exploiter leur crédulité. Je veux vous citer un extrait de la première lettre de l’apôtre Pierre, dans le Nouveau Testament, qui est sans équivoque à cet égard. On trouve ce passage au début du chapitre 5 :
« J’exhorte donc les anciens qui sont parmi vous, moi, ancien comme eux, témoin des souffrances du Christ et participant à la gloire qui doit être révélée : faites paître le troupeau de Dieu qui est avec vous, non par contrainte, mais volontairement selon Dieu; ni pour un gain sordide, mais de bon cœur; non en tyrannisant ceux qui vous sont confiés, mais en devenant les modèles du troupeau; et lorsque le souverain pasteur paraîtra, vous remporterez la couronne incorruptible de la gloire » (1 Pi 5.1-4).
La discipline qui doit régner dans l’Église a pour but de glorifier le Seigneur et de montrer au monde la nature des relations qui règnent dans la sphère du Royaume de Dieu. On peut dire par là qu’elle a donc un caractère missionnaire. Qui est en effet celui ou celle qui voudrait devenir membre d’une communauté où ne règnent que la pagaille, le désordre, les conflits de toutes sortes jamais résolus, la tyrannie de quelques-uns sur le reste? L’ordre qui doit régner dans l’Église n’est pas imposé selon des règles arbitraires, mais nous est donné directement dans la Parole de Dieu, dans l’Écriture. Il faut donc l’étudier sous cet angle et bien saisir les principes qui y sont énoncés, afin que cet ordre ne se transforme pas, petit à petit et subtilement, en une forme de contrainte qui ne serait alors plus le joug de Jésus-Christ, un joug facile à porter et porteur de fruits paisibles, mais un ensemble de règlements humains oppresseurs.
Disons-le clairement : beaucoup d’Églises manquent totalement le but à cet égard et font plutôt penser à des organisations sectaires. Il existe deux raisons principales pour ce triste état de fait, qui sont du reste étroitement liées : d’abord, on ne s’attache pas à l’étude de l’Écriture sainte envisagée sous cet aspect et, en second lieu, on édicte des règles qui ne sont pas données par le seul Chef de l’Église, Jésus-Christ. De prétendus sous-chefs, qui se nomment même parfois apôtres sans aucunement comprendre ce que ce terme signifie, se prennent pour les capitaines de l’Église et finissent par s’accorder un rôle de pseudo-messie, parfois sous une apparence de grande humilité.
Il ne faut pas s’y tromper : ou bien Jésus-Christ gouverne l’Église directement par sa Parole et par son Esprit, ou bien il est remplacé par des sous-fifres qui martyrisent spirituellement la communauté sur laquelle ils devraient veiller jalousement et avec amour. Jésus-Christ ne délègue jamais son autorité aux uns et aux autres, comme beaucoup le pensent de manière totalement erronée. Il l’exerce au contraire directement par sa Parole et son Esprit et il le fait au moyen de serviteurs qui doivent simplement l’annoncer et l’appliquer sans en dévier ni à droite ni à gauche.
C’est uniquement à partir de là qu’une discipline exercée dans la justice du Christ peut avoir cours. Elle se caractérise par un ordre harmonieux, par la recherche de la sanctification et donc l’éradication des péchés, mais aussi par le respect de l’intégrité de chaque membre du corps du Christ. Le droit de chaque membre à être traité avec justice, c’est en effet le droit de Jésus-Christ lui-même. Maltraiter un des membres de son corps, c’est évidemment le maltraiter lui-même, cela revient à le faire souffrir. Là-dessus se greffe la notion de réconciliation, qui est au cœur de l’Évangile : réconciliation avec Dieu et avec son prochain. Quelle forme doit donc prendre cette réconciliation lorsqu’un pécheur notoire s’est repenti, alors que ses actions passées ont porté atteinte à l’honneur de Dieu et causé du tort à la communauté tout entière, car ils sont devenus publics et source de scandale? Reprenons l’article 75 de l’ordre ecclésial énoncé lors du Concile de Dordrecht, en 1619, pour donner une expression concrète à ce principe :
« La réconciliation pour tous les péchés qui sont devenus publics par leur nature même ou à cause du mépris avec lequel les avertissements fraternels ont été reçus, doit prendre place de la manière que chaque conseil d’Église jugera utile pour l’édification de l’Église, à condition qu’il y ait suffisamment de signes de repentance et de contrition. S’il y a une différence d’opinions au sein du conseil de l’Église sur la question de savoir si dans certains cas il faut que la réconciliation ait lieu de manière publique, la décision doit être prise après avoir pris l’avis de deux conseils d’Église voisins. »
Si nous suivons cet article, il apparaît que la communauté dans son ensemble doit juger que les signes de repentance sont sincères, et non hypocrites. À cause de la nature de certains péchés, un consensus là-dessus peut être difficile à atteindre. Il en va dans l’Église autrement que dans la sphère publique. Par exemple, un meurtrier qui a été jugé et condamné par une cour de justice doit subir sa peine, qu’il se repente de son crime ou non. Mais la réconciliation dans l’Église exige que le péché, quelle que soit sa nature ou sa portée, soit pardonné à partir du moment ou une repentance sincère a été manifestée.
Si, dans l’Église, on n’est pas prêt à accepter ce principe, alors il faut tirer un trait sur la conversion du brigand crucifié en même temps que Jésus, au dernier instant de sa vie. Il faut alors oublier les paroles que celui-ci lui a adressées pour l’assurer qu’il aurait accès au paradis immédiatement après sa mort physique. Il ne s’agissait pas (comme le vociférait l’autre brigand, lui aussi crucifié en raison de ses crimes) d’une délivrance physique immédiate, d’une sorte d’évasion miraculeuse au nez et à la barbe des soldats romains qui surveillaient les trois exécutions, mais d’une promesse concernant la vie éternelle, grâce à la réconciliation totale avec Dieu sur la base d’une confession des péchés et d’une repentance sincère.
Une réconciliation publique avec Dieu et avec la communauté dans son ensemble est un signe visible que la grâce de Dieu est à l’œuvre dans la vie des pécheurs. Elle sert à la fois de témoignage public et elle exprime à nouveau l’unité du corps du Christ, qui a donné son corps et versé son sang pour la rédemption des péchés. Pour les gens de l’extérieur, c’est aussi la manifestation d’un ordre qu’on ne connaît pas dans le monde, où à part l’exécution des décisions de justice la notion de réconciliation n’a pas de place. Il faut cependant faire attention à ce qu’une réconciliation publique ne porte pas préjudice ou atteinte au nom et à l’honneur de la personne en question, ou bien n’éveille des soupçons infondés dans la communauté. Il s’agit avant tout de contribuer à l’édification de l’Église et non à remuer toutes sortes de sentiments ou de pensées malsaines. Il n’est donc pas nécessaire dans tous les cas que le pécheur repenti apparaisse en public. Par exemple, son nom peut être mentionné par les anciens dans une déclaration concise rédigée avec soin. En tout cas, cette action n’a jamais pour but de l’humilier ou de l’attrister.
Dans la seconde lettre aux Corinthiens, Paul parle justement d’un tel cas à l’Église de Corinthe, où un grave péché avait été commis par un membre, et était connu publiquement. Mais le pécheur s’était finalement repenti. Au chapitre 2, Paul écrit à cette Église :
« Si quelqu’un a été une cause de tristesse, ce n’est pas moi qu’il a attristé, c’est vous tous, du moins en partie, pour ne rien exagérer. Il suffit donc pour cet homme du blâme qui lui a été infligé par le plus grand nombre, en sorte que vous devez bien plutôt lui pardonner et le consoler, de peur qu’il ne soit accablé par une tristesse excessive. Je vous exhorte donc à faire prévaloir l’amour envers lui; car je vous ai écrit aussi afin de savoir, en vous mettant à l’épreuve, si vous êtes obéissants en tout » (2 Co 2.5-9).
Il peut aussi arriver que le pécheur repenti ressente lui-même le besoin d’apparaître en public pour faire une déclaration témoignant de sa repentance. En résumé, la manière précise dont une réconciliation publique doit prendre place, ne peut pas être prescrite à l’avance et dépendra de chaque situation. Ce qu’il faut rechercher avant tout, c’est à exprimer l’honneur qui est dû au Seigneur, et à fortifier la foi de chaque croyant dans la communauté.
Mais que se passe-t-il lorsqu’un membre de l’Église persiste dans son péché sans chercher la réconciliation avec Dieu et ses frères et sœurs dans la foi, en dépit de toutes les admonitions prodiguées par les anciens de l’Église? C’est ce dont traite l’article 76 de l’ordre ecclésial, et sur quoi nous reviendrons dans un prochain article.