Démonologie - Le ministère de guérison - L'exorcisme
Démonologie - Le ministère de guérison - L'exorcisme
Le problème de la guérison, et plus particulièrement celui posé par l’exorcisme, a toujours été très épineux. Néanmoins, la théologie réformée en reconnaît la validité, se soumettant ici comme ailleurs à l’autorité biblique. Certaines formes et pratiques de guérison dites par la foi ou miraculeuses, désordonnées, voire franchement frauduleuses, ainsi que nombre d’exorcismes douteux ont engendré des confusions inextricables, causant un grave préjudice non seulement à la pratique comme telle, mais encore à l’enseignement biblique dans son ensemble. Ceci explique pourquoi, pendant longtemps, la théologie réformée a hésité à en parler, en niant parfois l’opportunité d’une telle pratique, sans toutefois en rejeter le principe.
Les pratiques exercées notamment au cours du Moyen Âge et les excès de la chasse aux sorcières durant le 17e siècle dans une Europe obsédée par la sorcellerie firent observer aux Églises issues de la Réforme un silence prudent, et peut-être même une prudence excessive. À l’avènement du rationalisme et des Lumières, toute notion de ce qu’il est actuellement convenu d’appeler rencontre (ou conflit) des pouvoirs fut encore repoussée davantage vers l’arrière-plan.
Néanmoins, la théologie réformée n’a pas pour autant cessé de s’intéresser et de s’occuper du sujet, cherchant à conformer ses principes à l’Écriture sainte, en y trouvant l’inspiration et l’orientation pour sa pratique. Elle n’avait aucun doute en ce qui concerne l’existence d’un domaine démoniaque ni sur la possibilité et la mission de lutter contre le pouvoir du Malin.
Plus récemment, les Églises occidentales durent se pencher avec sérieux sur la question de la guérison par la foi. La résurgence de la sorcellerie lance actuellement un autre défi à la foi et à la piété chrétiennes. Il ne s’agit pas seulement de reconnaître ou de nier l’intervention démoniaque ou de mettre sous discipline des fidèles s’étant aventurés dans le domaine occulte et, au cas échéant, condamner des victimes devenues des complices volontaires et conscientes. Il faut encore répondre avec intelligence et efficacité à un problème pastoral aigu. En « terre de mission », champ par excellence de la maladie et d’immenses misères, la possession démoniaque n’est pas une pure vue de l’esprit. Elle jette dans la frayeur nombre de fidèles chrétiens qui n’ont pas été suffisamment informés et enseignés sur l’attitude à adopter face au démon.
Examinons ici la notion et le terme d’exorcisme.
« Derrière l’emprise du péché sur l’homme, écrit E. Thurneysen, il y a d’après l’Écriture sainte, un royaume invisible de puissances et d’esprits malins. Mais la souveraineté de Dieu en Jésus-Christ s’impose même dans ces abîmes cachés. Là où les péchés sont pardonnés, le règne de Satan prend fin. Il ne peut pas continuer à torturer et à séduire les hommes. Parce que la cure d’âme annonce ce mot du Dieu fort (allusion au cantique de Luther), son œuvre doit être comprise comme mise en fuite des démons et manifestation de la grande espérance en la victoire du Christ. Avec la force que donne cette espérance, elle intervient dans les domaines de la servitude, de la superstition, du fatalisme, mais aussi sur les plans politique et économique : partout, elle annonce le message de la venue du Royaume de Dieu et affermit les hommes dans cette attente.1 »
Le terme d’exorcisme comme tel pose un problème. On ne le trouve pas dans le Nouveau Testament au sens courant que nous lui donnons actuellement. Le grec « exorkizo » signifie conjurer sous serment. Il se rencontre dans Actes 19.13. Le concept païen impliquait des éléments tels que des formules et des rites magiques, voire une douleur infligée à la victime, de longues sessions pénibles en présence de l’esprit à chasser.
Dans l’Église chrétienne, l’exorcisme a été associé depuis l’origine aux rites baptismaux, mais également à la cure d’âme. L’exorcisme, souvent associé à l’imposition des mains, consiste à prier le Seigneur pour la libération de la victime. Il comporte trois parties : une déclaration selon laquelle c’est au nom du Christ qu’il est effectué; l’ordre donné à l’esprit impur de quitter la victime et de ne plus la torturer ni de causer le mal à autrui; l’ordre de départ. La pratique a malheureusement abouti à des formes détestables, semi-magiques, d’où le discrédit qui la couvre. La tradition réformée n’a jamais voulu reconnaître de ministère officiel d’exorciste.
Il faut également entendre le terme de possession dans un sens tout à fait différent de l’expression « être lié par Satan ». La possession est l’emprise totale que Satan exerce sur la personne, tandis qu’être lié par Satan désigne une influence néfaste temporaire, partielle, non définitive. Dans la possession, la victime devient plus ou moins l’instrument volontaire entre les mains du Malin. Les voix des démons sont celles d’autrui plutôt que celle de la victime possédée. Une personnalité schizoïde n’indique pas forcément une possession démoniaque, même partielle, mais seulement une oppression. Il existe des aspects de la personnalité humaine qui échappent à l’influence de Satan. À cet endroit, le diagnostic spirituel et médical se chevauchera, sans jamais totalement s’identifier. Être prisonnier de Satan ne devrait pas s’entendre comme une variation de l’expression qui désigne l’homme pécheur en général. Certes, tous les hommes asservis au péché sont, en un sens général, des esclaves soumis à l’adversaire. Cependant, le pécheur a encore la possibilité de refuser la tentation, tandis que dans le cas du possédé, la victime n’a d’autre choix que celui que lui dicte Satan.
La puissance de Satan se manifeste très spécialement là où des multitudes et des nations sont possédées. Les démons deviennent particulièrement virulents lorsqu’ils s’incarnent dans des institutions sociales. L’institution n’est plus sous contrôle humain, mais dans les griffes de Satan. Pour le Nouveau Testament, chasser le démon c’est délivrer sa victime, qu’elle soit une personne, une institution ou une société.
La délivrance, ou exorcisme, intervient non par des incantations magiques ou à l’aide de formules rituelles, mais exclusivement par la fidèle proclamation de l’Évangile du salut dans sa globalité. Sachons, en tout état de cause, que lorsque nous chassons le démon, cela ne signifie pas nécessairement que le démon est expulsé du corps de la victime ou de celui d’une institution de manière physique. Plus simplement, cela veut dire que le sujet a été libéré de l’emprise néfaste du démon.
En examinant les récits bibliques de possession démoniaque, nous constatons que jamais le possédé ne vient de lui-même pour trouver la guérison. Dans la plupart des cas, nous lisons qu’ils furent amenés à Jésus (« prosphéro », Mt 4.24; 8.16; 9.32; 12.22; 17.16; « phéro », Mt 17.17; Ac 5.16). Dans le cas de la femme syro-phénicienne, sa fille possédée ne vint même pas d’elle-même vers le Christ (Mc 7.24-30). Il existe d’autres cas où le possédé et l’exorciste se rencontrent, et à l’occasion les possédés sont contraints de reconnaître l’autorité de Jésus (Mc 1.24; 3.11; 5.2,6-7; Ac 16.16). Dans Marc 5.6, nous lisons que le démoniaque de Gadara courut vers Jésus et, selon Kurt Koch, il se serait adressé à Jésus pour le supplier de le délivrer. Néanmoins, note Berends, le texte grec lie cette course vers Jésus à l’acte d’adoration : « édramen kai prosékunèsen », littéralement, il courut et se prosterna devant…, ce qui laisse entendre qu’il courut vers Jésus pour l’adorer. Ces cas démontrent que jamais le démonisé ne vient à Jésus pour être guéri. On peut conclure, précise Berends, que lorsqu’une victime vient d’elle-même vers l’exorciste, il est certain qu’elle n’est nullement possédée par le démon!
Le même auteur note ensuite qu’aucun exorcisme pratiqué par Jésus ne fut accompagné par les rituels d’incantation habituels. Il ne faisait que donner l’ordre et le démon quittait aussitôt sa victime. « Par un mot », dit Matthieu 8.16. Les disciples suivirent le même exemple en ordonnant aux démons de quitter leur victime, mais l’ordre fut donné invariablement au nom de Jésus. Il est clair que la mention du nom du Seigneur n’a jamais été faite dans un esprit rituel. Les disciples sont assurés de l’autorité et de la puissance suprême de leur Seigneur. L’erreur consistant à employer le nom de Jésus de manière ritualiste est celle que rapporte le récit d’Actes 19.13-16.
Les exorcismes rapportés aussi bien au cours de l’histoire du christianisme que dans le paganisme ne peuvent se mesurer d’après cette norme biblique, déclare Berends. Il rappelle que, dans les exorcismes pratiqués dans l’Église romaine, des chants latins, des crucifix et d’autres rites ont joué un rôle considérable. Dans le néo-pentecôtisme, l’imposition des mains, la prière en extase, le chant des cantiques et d’autres pratiques redoutables (« awe inspiring » en anglais) accompagnent les exorcismes, ce qui, encore une fois, reste totalement étranger à la pratique apostolique. On doit également se demander si Kurt Koch suit fidèlement le modèle biblique dans la pratique d’exorcisme qu’il préconise. Cet auteur, comme tant d’autres, n’est pas assez précis dans la distinction qu’il établit entre le démoniaque et le démonisé. Peut-on s’attendre à une confession de foi de la part d’un possédé démoniaque? Jamais le Christ ne s’est attendu à une telle confession. Apparemment, on sait que le Christ n’a pas tenu le démoniaque pour responsable de son état.
C’est avec une très grande prudence qu’il convient de considérer les cas rapportés par Koch comme récits d’authentiques possessions, déclare Berends qui, dans sa conclusion, rappelle qu’il n’existe pas actuellement autant de possessions démoniaques qu’au temps du Christ, quand l’activité démoniaque avait atteint son paroxysme.
Selon le rituel romain de l’exorcisme, l’exorciste, dans l’exercice de sa mission, risque de subir l’intimidation, voire un assaut physique si ce n’est la mort, de la part du démon.
Il y a aussi l’exorcisme par pratique occulte, mais il est illégitime de le confondre ou de l’associer avec l’exorcisme effectué au nom du Christ. Enfin, souvenons-nous que nul autre que le chrétien ne possède la capacité d’exercer un contrôle de longue durée sur l’esprit malin ni de chasser le démon de manière permanente, parce qu’il a recours à l’autorité du Christ (Mt 12.43-45).
Un autre domaine de l’activité satanique réside dans l’accomplissement de faux miracles. Cette pratique englobe l’ensemble de ce qui relève de l’occulte, miracles dus à la magie, prédiction de l’avenir, communication avec les morts par l’intermédiaire de médiums, astrologie et autres activités semblables.
Les miracles sont classifiés en deux catégories : ceux qui sont bénéfiques pour la croissance spirituelle; ceux qui sont négatifs et destructeurs, allant jusqu’à déformer la nature.
Certains aspects de la sorcellerie moderne remontent, affirme-t-on, aux magiciens de l’Égypte ancienne, tels ceux qu’avait rencontrés Moïse… L’astrologie, elle, remonterait plus haut encore, à la tour de Babel. Il est bien connu que l’occultisme a été pratiqué depuis la plus haute antiquité. Cependant, toute activité occulte ne devrait pas être nécessairement identifiée ou assimilée avec ce qui est démoniaque, quoique l’on doive garder à l’esprit le fait que sa pratique favorise une telle relation. En tout état de cause, l’importance de l’occulte vient de ce que Satan exploite la curiosité insatiable de l’homme et son désir de contrôler et de manipuler au-delà de ce qui lui a été permis par Dieu. Satan exploite aussi la peur de l’avenir, l’angoisse devant l’inconnu, asservissant et déformant ainsi toute la conception de l’existence et du monde.
Voici ce qu’écrit E. Thurneysen :
« Dans nos entretiens avec ceux qui ont besoin de cure d’âme, nous rencontrerons inévitablement les arrière-plans démoniaques du péché, puisqu’il est vrai que le péché engendre l’asservissement aux puissances des ténèbres. […] Celui qui exerce la cure d’âme doit, dans cette rencontre, se tenir clairement, fermement, sur le terrain du message biblique. Cela signifie que nous devons éviter, dans tous les cas, de nous laisser entraîner dans des conversations philosophiques sur les choses suprasensibles. Nous ferons bien de rejeter toutes les interprétations et toutes les tentatives d’explication ayant trait à ces arrière-plans de l’acte pécheur, non seulement parce que ce qui est suprasensible échappe à une observation réelle et à une expérience contrôlée, mais parce que toutes ces interprétations et ces explications aboutissent finalement toujours à enlever à l’homme la responsabilité de son péché et à en charger les “puissances célestes” qui font que “le misérable est coupable”. Elles arrivent seulement à rendre anodine la situation intérieure de l’homme, et plus elles sont profondes, plus elles font obstacle à la repentance et, par conséquent, au salut. L’homme n’a que trop tendance à comprendre et à présenter son asservissement par le péché à la puissance des ténèbres d’une manière philosophique (ce qu’il essaie aussi de faire, à notre époque, à l’aide de la psychologie), afin d’éviter si possible de faire face à la réalité illimitée de cette puissance. Il cherche à comprendre ce qu’il y a d’incompréhensible dans cette façon de se laisser mener par sa “manie” de pécher et de la sorte d’en devenir le maître. Or, on ne maîtrise pas son péché en le saisissant de manière philosophique, voire psychologique, mais uniquement par la grâce. Le Christ et ses anges sont notre refuge et notre forteresse (voir Ps 91.1-2,11-12). »
La résurgence actuelle de l’occultisme ne devrait pas être considérée simplement comme un phénomène culturel passager. Au contraire, même dans ses formes apparemment inoffensives, on devrait s’en occuper avec un soin extrême, lui accordant attention depuis ses formes les plus atténuées (boule de cristal, horoscopes, magie blanche, etc.), jusqu’à ses expressions les plus iniques. À cause de l’œuvre subtile et véritablement perverse de Satan, qui à coup sûr se servira de l’occultisme, on devrait instruire les gens à pratiquer le discernement des esprits pour savoir si les « esprits » viennent de Dieu, même lors d’expériences appelées « charismatiques », par exemple lors du parler en langues. On rapporte de nombreux cas où des personnes, manquant de l’élémentaire sagesse biblique pour discerner les esprits et éprouver la source du don charismatique, se sont tragiquement placées sous l’influence d’esprits démoniaques.
Il n’est pas superflu de se rappeler que la glossolalie n’est pas un phénomène purement chrétien. Elle a été pratiquée dans nombre de religions non chrétiennes, telles que l’hindouisme et le bouddhisme, dans des sectes et aussi dans des cercles théologiques protestants libéraux. La même remarque s’impose à propos de certaines guérisons dites miraculeuses. En offrant la santé physique à travers l’intervention des forces spirites d’un « guérisseur par la foi », ou par un autre moyen intermédiaire, Satan cherche à obtenir le contrôle sur la personne tout entière. Les guérisons de masse, elles aussi, relèvent purement et simplement du domaine démoniaque.
Note
1. E. Thurneysen, La doctrine de la cure d’âme, Delachaux et Niestlé, p. 231.