L'Église, un corps vivant
L'Église, un corps vivant
Le concept biblique du salut ne relève pas d’une réalité individuelle. L’homme sauvé cesse définitivement d’être un individualiste, car la rédemption concerne et englobe une communauté tout entière. Elle me touche et me transforme dans la mesure où je fais partie du corps vivant du Christ : son Église. C’est précisément ce que voulait dire à l’origine cette phrase aussi célèbre que mal comprise : « Hors de l’Église point de salut. » Rencontrer Jésus-Christ amène automatiquement à la rencontre, bien plus, à la coexistence et à la communion avec ceux qui l’ont aussi rencontré. Mais examinons un peu cette phrase : « Hors de l’Église point de salut. »
La paternité en revient à Cyprien, l’un des premiers pères de l’Église, au 3e siècle de notre ère. L’Église est considérée comme la dispensatrice des dons et des grâces célestes. En dehors d’elle, en dehors de ses ministères ordonnés, en dehors de son activité et principalement de sa prédication évangélique, il n’y a pas de salut possible. Certes, à ce stade du développement de la pensée chrétienne, des erreurs s’étaient déjà glissées et des malentendus accumulés, tel celui qui commençait à considérer l’évêque comme le centre de l’Église. Plus tard, d’autres Églises reprirent à leur profit cette conception, donnant ainsi naissance à des Églises hautement cléricalisées.
Lorsque l’on dit « hors de l’Église point de salut », il faut préciser avec le plus grand soin ce que l’on entend par le terme Église. Disons que la phrase de Cyprien est un mélange d’éléments vrais et faux. Saurons-nous séparer ce qui est valable de ce qui recèle des erreurs implicites?
Certains chrétiens ont choisi pour leur part de vivre sans aucun rapport avec l’Église-institution. Sont-ils véritablement chrétiens? Je ne tiens ni à l’affirmer ni à l’infirmer. D’autres, tout en demeurant membres de l’Église, se comportent comme s’ils n’en faisaient pas partie. Selon eux, devenir membre d’une Église-institution relève non pas de l’essence de la foi, mais d’un certain bien-être, voire d’un certain pragmatisme utilitaire; l’appartenance à une Église serait une option facultative. Inversement, on rencontre des chrétiens d’origine réformée qui s’attachent à leur Église d’une façon qui rappelle un peu la manière obscure dont les intégristes d’autres Églises se comportent vis-à-vis de la leur.
Qu’est-ce que l’Église? Le terme désigne-t-il le bâtiment où l’on se rassemble pour une célébration cultuelle, ou la communauté cultuelle elle-même? S’agit-il de désigner telle ou telle confession ou bien de reconnaître telle ou telle Église locale? Ou encore, ainsi que c’est certainement le cas, est-elle le corps universel, l’Église que le Christ a aimée et pour laquelle il a donné sa vie?
« Maris, aimez chacun votre femme, comme le Christ a aimé l’Église et s’est livré lui-même pour elle, afin de la sanctifier après l’avoir purifiée par l’eau et la parole, pour faire paraître devant lui cette Église glorieuse, sans tache, ni ride, ni rien de semblable, mais sainte et sans défaut » (Ép 5.25-27).
C’est justement en dehors de ce corps universel que nous n’avons pas de salut. Essayons de déterminer cependant dans quelle mesure l’Église, dans ses autres aspects, s’impose comme absolument indispensable à ce salut.
Le Christ a institué son Église sous une forme visible et organisée. « Et moi, je te dis que tu es Pierre, et que sur cette pierre je bâtirai mon Église, et que les portes du séjour des morts ne prévaudront pas contre elle » (Mt 16.18). Pour la désigner, il a employé le terme de « ekklesia ».
Dans l’un de ses textes, l’apôtre Paul rend compte de cette réalité visible et organisée qu’est le corps du Christ.
« Et Dieu a établi dans l’Église premièrement des apôtres, deuxièmement des prophètes, troisièmement des docteurs; ensuite il y a le don des miracles, puis les dons de guérir, de secourir, de gouverner, de parler diverses sortes de langues » (1 Co 12.28).
Tout corps vivant possède des traits : une vie commune à ses membres, une tête ou un cerveau qui le contrôle, des membres divers ayant des fonctions diverses, mais soudés entre eux et agissant en harmonie de telle sorte que si un ou plusieurs membres s’en détachaient, le corps irait à sa perte. Un tel corps sera sain ou maladif, formé normalement ou mal formé dès sa naissance.
Le Christ est la Tête de l’Église, la source de sa vie, et cette vie puissante nouvelle et rénovatrice du Christ est diffusée dans ses membres.
« Je suis crucifié avec Christ, et ce n’est plus moi qui vis, c’est Christ qui vit en moi; ma vie présente dans la chair, je la vis dans la foi au Fils de Dieu, qui m’a aimé et qui s’est livré lui-même pour moi » (Ga 2.20).
Le corps de l’Église possède une source commune de vie et de nourriture.
« Car c’est dans un seul Esprit que nous tous, pour former un seul corps, avons été baptisés, soit Juifs, soit Grecs, soit esclaves, soit libres, et nous avons tous été abreuvés d’un seul Esprit » (1 Co 12.13).
Puisque le Christ vit en moi, nous, nous aurons à nous conformer à son image.
« Car ceux qu’il a connus d’avance, il les a aussi prédestinés à être semblables à l’image de son Fils, afin qu’il soit le premier-né d’un grand nombre de frères » (Rm 8.29).
Nous sommes devenus membres du Christ; le Christ a été désigné comme la vie en nous. De cette union intime et impérissable naît l’Église. Et c’est de cette réalité nouvelle, de ce corps vivant dont nous parlons, lorsque nous affirmons qu’il n’y a pas de salut en dehors d’elle. Le Symbole dit des apôtres, le vieux credo chrétien, en fait état : « Je crois l’Église universelle. » La lettre aux Éphésiens en explique le mode de la naissance. « Mais maintenant, en Jésus-Christ, vous qui autrefois étiez loin, vous êtes devenus proches par le sang de Christ » (Ép 2.13).
Des membres étrangers furent réconciliés, d’abord avec Dieu, ensuite ensemble, en vue de la formation d’un peuple nouveau et unique en son genre. Une nouvelle humanité est apparue. À présent, les croyants sont les gens de la maisonnée de Dieu, concitoyens du Royaume, le Temple où habite l’Esprit divin.
Ce qui étonne c’est l’unicité essentielle de l’Église, qui n’est pas une réalité abstraite et invisible, mais une entité qui apparaît réellement, avec ses ministères et toute son organisation. C’est la raison qui nous faisait dire que le salut n’est pas une affaire purement individuelle. Si la foi en Jésus-Christ relève d’un engagement personnel, car personne d’autre ne peut croire à ma place, à l’instant où je m’engage pour lui, je me trouve nécessairement impliqué, je dirais imbriqué, dans l’organisme qui s’appelle Église de Jésus-Christ. L’imperfection de cette communion nouvelle ne change en rien la réalité. Nous sommes, en Christ, membres de son corps.
La rencontre d’autrui dans l’Église n’est pas toujours évidente à l’œil nu. Elle peut devenir pourtant sensible à l’Esprit. Or, le Christ vit avec une plus grande plénitude chez certains que chez d’autres. Mais il est visible partout où il se trouve et nous saurons sans peine reconnaître sa présence.
Tout membre du corps se conformera à la Tête et s’alignera sur ses directives. En nous conformant au Chef, nous ferons la découverte effective de l’autre. Cette découverte et cette rencontre ne sont rien d’autre, et rien de moins, que pardon mutuel, communion dans l’adoration, œuvre et service. Elles prennent la forme étonnante de la célébration de la Cène, à la fois signe et gage de notre appartenance au corps vivant. Pour découvrir l’autre en Christ, il n’est pas besoin d’un état d’âme exalté ni d’une piété sentimentale, mais d’une conformité qui dénote que nous sommes devenus effectivement disciples de Jésus-Christ. Alors, ce sera la fin de l’isolement et de la solitude au milieu des autres, véritable calamité dans l’Église chrétienne.
L’Église se trouve en Christ, mais elle est aussi en nous. Gardons-nous donc de trop l’idéaliser. L’expérience prouve que ceux qui s’en détournent ne découvrent en elle qu’imperfection sur imperfection et que, désappointés, ils s’en vont chercher ailleurs l’image idéale qu’ils s’en étaient faite. Cette belle réalité de la communion a-t-elle encore une existence? Rencontre-t-on, soit chez les conducteurs d’Églises locales, soit chez des chrétiens attachés à leur Église, accueil, fraternité, chaleur et disponibilité au service? La réalité de l’Église n’est pas toujours merveilleuse et nous sommes parfois tentés de ne pas la prendre au sérieux. Mais alors, soyons sérieux et réalistes nous-mêmes, ce qui veut dire : examinons ce qu’est l’Église. Elle est en Christ, nous n’avons cessé de le répéter. Mais elle est aussi en nous. Entre ces deux aspects, il existe un fossé religieux bien trop large. Ce fossé n’est pas la simple constatation de ce que nous aurions dû être et de ce que nous sommes en réalité… Même si nous faisons preuve de très bonne volonté, je crains que l’Église terrestre, composée de gens comme vous et moi, soit encore bien loin de l’image idéale que nous lui prêtons en toute méconnaissance de cause.
L’imperfection en question sera notre sort jusqu’à la fin. Soyons donc modestes afin d’éviter toutes ces déceptions inutiles, toutes ces amertumes empoisonnantes, tous ces gémissements qui rappellent plus une attitude infantile que la lucidité et une connaissance exacte.
Et puis, comment oserions-nous oublier nos propres imperfections; de quel droit exigeons-nous d’autrui qu’il soit ce que nous ne sommes pas? Même en Christ? Qu’on me permette ici une illustration. D’après les neurologues modernes, à peine 10 % de notre cerveau, de notre esprit si vous voulez, est capable d’enregistrer, de comprendre et de fonctionner. Le reste demeure encore improductif. C’est là un rappel qui peut servir d’analogie pour notre vie dans la foi et notre appartenance à l’Église. Ne défendons pas l’indéfendable; n’oublions pas que l’Église immaculée est celle pour laquelle le Christ s’est donné, qu’elle reste l’objet de notre foi, et non de notre vue.
Oh! ne pensez pas que je tiens subtilement à désamorcer vos critiques contre l’Église terre-à-terre. Mais si nous regardons l’Église en Christ, regardons-la aussi telle qu’elle est en nous. Autrement, nous risquons de trop compliquer les choses.
Je viens d’emprunter une image à notre vie physique; tout notre corps physique est menacé par le mal, la maladie, la mort; notre existence se déroule au milieu d’une lutte sans répit. Mais nous comparerons notre corps mortel à celui, glorieux parce que ressuscité, du Christ. Nous attendons la transformation. Agissons de la sorte avec l’Église. Ce n’est pas le processus de la dégradation vers la mort, mais la marche constante vers la vie qu’elle connaît par la foi et par l’action de l’Esprit, chaque fois qu’écoutant la Parole de vie elle se laisse entraîner sur les chemins de la vie. Nous pouvons donc non seulement lui rester attachés, mais encore l’aimer comme son Seigneur l’a aimée. Hommes, femmes, enfants, peuple d’adorateurs, pèlerins de la foi, serviteurs de la charité, nous sommes pleinement les membres de l’unique corps vivant dans le monde, celui qui s’appelle Église de Jésus-Christ.