Jude 1 - Moïse et l'archange
Jude 1 - Moïse et l'archange
« Malgré cela, ces hommes aussi, dans leurs rêveries, souillent la chair, méprisant l’autorité du Seigneur, injuriant les gloires. Or, lorsqu’il contestait avec le diable et discutait au sujet du corps de Moïse, l’archange Michel n’osa pas porter contre lui un jugement injurieux, mais il dit : Que le Seigneur te réprime! Eux, au contraire, ils parlent de manière injurieuse de ce qu’ils ignorent, et ce qu’ils savent par instinct, comme des animaux sans raison, ne sert qu’à les corrompre. »
Jude 1.8-10
Les libertins impies profanent la chair, et non pas seulement leur chair, mais la chair en tant que nature humaine, se rendant ainsi coupables comme les Sodomites.
Comme les anges déchus qui n’ont pas conservé leur dignité et qui actuellement vagabondent dans les sphères inférieures, comme les Israélites impies et rebelles au désert, les imposteurs de notre lettre se moquent des dignités supérieures. Ils sont insensibles à tout sens de devoir et de responsabilité morale; ils sont même morts à cet égard. De manière consciente, ils refusent d’écouter Dieu, faisant de leurs bas instincts le seul maître et le seul moteur de leurs existences. Mais à la fin, ils ne seront plus capables d’entendre la voix de Dieu, ayant délibérément choisi de boucher leurs oreilles… C’est quelque chose de redoutable que d’en être arrivé là, car c’est le point de non-retour. Combien Jude a-t-il raison d’avertir avec insistance ses lecteurs, de les mettre en garde avec sollicitude, et nous avec…
Pour aider ses lecteurs à repousser l’influence pernicieuse de cet enseignement, Jude rappelle l’instruction initiale qu’ils avaient reçue de la part des apôtres lors de leur conversion et de leur baptême. Ils avaient été informés du jugement menaçant l’impie propageant une fausse doctrine.
Les libertins dont il s’occupe, à l’instar de leurs prédécesseurs, commettent les mêmes erreurs, en méprisant l’autorité supérieure des anges et, comme les Sodomites, ils transgressent le commandement divin. Ils prétendent avoir des révélations nouvelles durant leurs rêves… Rêveurs et assoupis, comme l’écrit dans un autre contexte Ésaïe 56.10, plongés dans la torpeur qu’évoque l’apôtre Paul dans Romains 13.11, ils s’égarent sans remède.
Le mépris dont ils se rendent coupables en rejetant l’autorité morale est souligné par le rappel de la dispute de nature juridique qui opposa l’archange Michel à Satan. Ce dernier accuse Moïse d’être un meurtrier, en faisant allusion au fait qu’il avait tué, effectivement, un Égyptien qui maltraitait les Israélites lorsqu’il était encore prince à la cour pharaonique. Tandis qu’il dispute le corps de Moïse, l’archange Michel, qui tient le rôle d’avocat-défenseur, prend la défense de Moïse face à la nature diffamatoire de cette accusation. Il refuse cependant de prononcer lui-même un jugement contre Satan. Son attitude contraste avec celle des faux docteurs qui, par leurs fausses accusations, rejettent l’autorité angélique tandis que ces derniers sont, pour Jude comme pour tous les autres auteurs du Nouveau Testament, des porte-parole de Dieu.
Leur arrogance dépasse toutes les bornes, puisqu’ils s’estiment supérieurs à toute autorité morale établie et à tout ordre légal reconnu. Même s’ils avaient eu la position de Moïse et le rang de Michel, ils auraient dû se soumettre à la loi et surtout au Législateur divin, qui est le Juge suprême. Leur attitude de résistance à l’égard des anges trahit leur refus de se soumettre à toute autorité morale; plus tragiquement encore, elle révèle, en dépit de leurs protestations, leur insoumission et leur insubordination à la souveraineté divine.
Ils donnent également la preuve de leur ignorance quant au monde céleste, qu’ils prétendent pourtant explorer lors de leurs visions… S’ils avaient réellement compris ce monde-là, ils auraient reconnu que les anges étaient des ministres et des messagers de Dieu. Hélas!, non seulement ils ne comprennent pas, mais encore, comme les Sodomites, ils suivent leurs instincts sexuels avilis tout en prétendant être « spirituels » et supérieurs aux êtres célestes!
« Ils rejettent la seigneurie. » Plusieurs interprétations de cette expression sont en cours. De quelle seigneurie s’agit-il? Selon Luther et Calvin, il s’agirait des autorités civiles et ecclésiastiques. On peut résumer la pensée du réformateur français de la manière suivante : Il existe un contraste lorsque Jude dit qu’ils profanent ou polluent la chair, c’est-à-dire qu’ils dégradent ce qu’ils considèrent comme moins excellent et le méprisent comme disgracieux, ce qui paraît d’ordinaire excellente humanité. De la seconde clause, poursuit Calvin, il apparaît que, libérés de leur crainte de la loi, ils s’offrent la liberté de pécher.
Mais ces deux attitudes sont étroitement liées, comme celle de ces fanatiques qui cherchent à abolir tout ordre établi, qui parlent avec insolence et blâment les magistrats (sans doute Calvin pensait-il aux « spirituels » et Luther devait-il songer aux anabaptistes de Thomas Müntzer). Non seulement ils sont mécontents de devoir se soumettre à l’autorité des magistrats, mais encore s’en prennent furieusement au gouvernement sous le prétexte fallacieux que le pouvoir de l’épée, l’autorité civile, est de nature profane. C’est de la sorte qu’ils s’opposent à la piété même. En bref, conclut Calvin, hautains, ils rejettent l’Église du Christ, ainsi que tout prince et tout magistère. Pourtant, ces dignités ou ces gloires sont des ordres éminents en pouvoir et en honneur.
D’autres interprètes ont retenu l’hypothèse de l’autorité ecclésiastique.
Selon une troisième interprétation, il s’agirait de la classe des anges dont il est question dans Colossiens 1.16, mais s’il en était ainsi, le singulier de la « kuriotès », « seigneurie », s’expliquerait difficilement. S’agissant de la seigneurie de Dieu et du Christ, on doit lui associer le substantif « Kurios », dont il était question dans le verset 4, « au seul Maître et Seigneur ». Si on retient cette interprétation, l’erreur n’est pas christologique, mais de nature morale. On rejette cette seigneurie par un comportement concret.
Bien que Jude n’affirme pas que les hérétiques blasphèment contre Dieu ou contre le Christ, il rend évident que les adversaires méprisent les anges. Les hérétiques les tiennent pour des créatures mauvaises, tandis que pour Jude les anges de Dieu sont aussi ses ministres; aussi méritent-ils respect et honneur. Or les hérétiques, dans leurs prétentions à s’estimer spirituellement supérieurs à toute hiérarchie céleste, vont jusqu’à mépriser les forces démoniaques; ils prétendent être spirituels et supérieurs à toute hiérarchie céleste, y compris Satan, s’en moquant comme d’un pouvoir qui leur serait inférieur… Ils se comportent à la manière des Corinthiens qui, s’ils niaient l’existence et la réalité des idoles, oubliaient que ce sont les forces démoniaques qui sont actives et opérantes dans toute religion païenne.
Une autre interprétation associe cette attitude à la secte gnostique du début du 2e siècle de notre ère. Selon la célèbre secte, la création du monde serait l’œuvre des anges et des « archôn » (des puissances); dans ce cas, les anges seraient des puissances du monde matériel et, par conséquent, des ennemis du Dieu transcendant; idée qui exprime de nouveau le dualisme fondamental des gnostiques.
Le mépris à l’égard des anges serait donc l’expression de leur soi-disant supériorité par rapport à eux, puisqu’ils prétendent avoir des visions spirituelles les exaltant au-dessus de toute créature céleste. Pourtant, l’expérience d’une vision de cette nature eut des résultats bien différents d’après Colossiens 2.18, car elle donna lieu à une révérence excessive à l’égard des anges…
Enfin, mentionnons une dernière interprétation intéressante. Les anges sont les donateurs de la loi et les gardiens de celle-ci. C’est la raison pour laquelle les imposteurs, antinomistes jusqu’au tréfonds d’eux-mêmes, les méprisent et les outragent. Les anges sont également les gardiens de l’ordre créationnel. Ce qui confirme l’idée selon laquelle les hérétiques de Jude sont des antinomistes qui répudient l’ordre moral et légal sur lequel président les anges. En effet, selon Hébreux 2.2 et Actes 7.38, la loi a été médiatisée par le ministère angélique.
De son côté, saint Paul rappelle qu’à cause de la présence des anges lors des célébrations cultuelles, il devra y régner un ordre parfait. Il est probable que les faux docteurs avaient une attitude outrageante envers les anges, parce qu’ils les considéraient comme des administrateurs de l’ordre moral, et voulaient montrer ainsi leur émancipation de leur tutelle. La liberté chrétienne signifiait pour eux la répudiation de toute autorité morale et angélique; ils accusaient donc les anges d’imposer la loi par pure malice envers les humains…
Dans un nouvel avertissement relatif au blasphème contre les puissances spirituelles supérieures, Jude offre au verset 9 une nouvelle illustration. Le sens en est clair et l’illustration éclatante. Les libertins profanes se permettent de parler des puissances et des dignités du monde spirituel sur un ton que même un archange n’avait osé employer dans sa dispute avec Satan. L’argument est fort. Michel n’a même pas injurié un mauvais ange; à plus forte raison, les hommes n’oseront pas outrager les bons…
Ce passage ne se réfère pas comme tel au récit de la mort de Moïse rapporté dans Deutéronome 34.5-6. Un autre texte canonique qui vient à l’esprit est le passage de Zacharie 3.2. Il y est question de la consécration du souverain sacrificateur Josué; Dieu y réprime Satan et l’archange prend la défense du souverain sacrificateur. L’histoire devait être bien connue des lecteurs juifs de Jude. L’auteur en parle comme d’un fait familier. La référence à Michel montre à cet endroit, comme plus haut, l’arrière-plan de la tradition judaïque. Dans celle-ci, le nom de Michel est associé à la tradition apocalyptique juive (voir Dn 10.13,21; Ap 12.7). Dans d’autres traditions, il apparaît comme l’ange gardien d’Israël. Dans l’Apocalypse d’Abraham, il est dit qu’il transporta le corps du patriarche au ciel. Dans le livre d’Hénoch, il est rapporté qu’il en fit autant avec celui du patriarche du même nom.
Le titre d’archange n’apparaît dans le Nouveau Testament que dans 1 Thessaloniciens 4.16 et reflète le développement ultérieur, durant la période intertestamentaire, de l’angélologie juive.
Le cœur de l’affaire consiste en ceci : L’irrespect à l’égard des dignitaires spirituels ou sociaux reflète une opposition, voire une rébellion ouverte à l’égard de Dieu.
La deuxième lettre de Pierre ne mentionne pas l’incident, mais, dans 2 Pierre 2.4, il est question de jugement et d’anges évitant de faire des déclarations injurieuses…
Jude se sert de cet incident comme d’une clé de l’analogie qu’il établit à l’intention de ses lecteurs. L’outrage des imposteurs équivaut à celui de Satan lors de sa dispute avec l’archange Michel, le représentant d’une autorité légalement constituée. Selon Jude, les adversaires de la foi devaient imiter l’exemple de l’archange et non celui de Satan.
Au verset 11, il parviendra à la même conclusion, en les comparant à Qoré qui se rebella contre Moïse.
De tout ceci, il ressort clairement que les adversaires sont des antinomistes s’opposant farouchement à la loi mosaïque.
Mais pour Jude, comme pour l’ensemble de la Bible, personne n’est une loi pour soi-même. Chacun doit se soumettre à celle de Dieu. Il condamne donc celui qui s’oppose à l’ordre établi, et à cet endroit on doit, à notre avis, rendre justice à l’intuition de Calvin qui, sans discuter des nombreuses interprétations énumérées plus haut, insiste avec raison, bien que partiellement, sur le respect qui est dû aux autorités civiles. Le parallèle dans 2 Pierre 2.12 fait allusion à la loi romaine, tandis que chez Jude il s’agit davantage de la loi religieuse juive.
L’incident rapporté par Jude, tiré d’un écrit apocryphe, devrait-il mettre en question l’inspiration et la canonicité de la lettre? Nullement. Car si Jude prend comme illustration un incident rapporté dans un livre non canonique, cette illustration est pertinente. D’ailleurs, l’Écriture canonique, dans d’autres instances, utilise des récits qui, sans être canoniques comme tels, servent quand même adéquatement à illustrer une vérité révélée. L’essentiel pour nous est de savoir ce que Jude nous révèle, même à l’aide d’une illustration « apocryphe ». Il n’y a pas ici de syncrétisme, ni même le moindre encouragement à s’appuyer sur une autre source de révélation que celle, unique et exclusive, des livres de la Bible canonique (voir la Confession de La Rochelle, articles 3, 4 et 5). Nous aurions tort de dicter à Dieu la manière dont son Esprit juge utile d’inspirer ses agents pour nous enseigner une vérité normative et nullement contestable.